top of page

Les arcanes de la renommée
par Jean loup Bézos, mercredi 29 septembre 2010

J’avais monté à Hendaye, cette année 1993, « la première biennale d’art contemporain en côte basque ». C’est d’ailleurs à cette occasion que je rencontrais Yvette.B., cette grande et belle femme longiligne qui semblait toujours marmonner quand elle parlait d’art. Elle avait des responsabilités dans une très importante galerie de Turin. La galerie P., excusez du peu, avait fait les beaux jours de l’Arte Povera… La Biennale d’Hendaye était une exposition qui «faisait son effet» et Yvette B. était venue vers moi tout naturellement car : « Voyez-vous, je n’ai jamais vu une chose pareille sur la côte basque » m’avait-elle dit « et j’apprend que vous en êtes le responsable ? bravo ! Peut-être pourrons-nous mener un jour prochain d’autres projets ensemble. Vous savez j’ai des origines dans ce pays, ma mère habite Biarritz et j’aimerais beaucoup apporter à cette région ma petite contribution », puis elle me tendit sa
carte avec un beau sourire, prit une pose, comme pour la photographier et me tourna presque aussitôt le dos tout en me faisant un petit signe de la main « bye, bye! à plus tard ?» et s’éloigna nonchalamment, du pas d'une vacancière qui se rend à la plage.

Sur le conseil un peu cynique et en tout cas narquois de Dow Jon du groupe 10X10 «c’est la grande mode des biennales en ce moment » m’avait-il fait remarquer, rigolard. J’avais appelé cette exposition, montée à la hâte, « la première biennale d’art contemporain en côte basque », alors que le seul «challenge» que j’avais à tenir était d’investir, dans les plus brefs délais, une trentaine de boutiques inoccupées dans cette zone jouxtant le port de plaisance d’Hendaye, lieu le plus touristique d’Hendaye plage qui ne pouvait rester vide pour la saison estivale à venir.

L’infortuné agent immobilier avait subi un revers cuisant pour les ventes immobilières de cette marina. C’est à cause d’une crise inattendue qu’il n’avait pu vendre ni même louer une trentaine de boutiques pourtant fort bien placées sur ce magnifique site balnéaire. Il cherchait absolument un moyen de dissimuler ce désastre car cette résidence de style néo-basque qu’il avait faite construire et qui occupait de manière ostentatoire le front de mer à deux pas de l’Espagne, ne pouvait révéler une gabegie pareille, aussi voyante, surtout à l’entame de la saison estivale. Cela risquait de contrarier les élus à qui il avait "vendu" son projet "déterminant pour l’avenir du port de plaisance d’Hendaye". Il était donc obligé d'imaginer une animation transitoire, n’importe laquelle, pourvu qu’elle laisse penser qu’elle avait été prévue de longue date et contribue ainsi à « sauver les apparences » en attendant des jours meilleurs… Nous devions nous rencontrer à ce moment, en ce début du mois de juin 1993 avec Max, promoteur malchanceux mais pas désespéré…

Ce jour là H. m’avait embarqué avec deux ou trois de ses amis sur son bateau de plaisance. Un modeste rafiot que qu'il maîtrisait juste pour le guider sur l’eau. En revanche, il connaissait aussi mal la mer qu’un touriste lambda . Mon inquiétude à bord me faisait ce jour là redoubler de vigilance. J’avais le regard rivé sur l’horizon. Au loin j’aperçu des moutons. On sait que la mer qui moutonne n’annonce rien de bon. En tous cas c’est ce qu’on m’avait toujours dit. Je fis remarquer  les moutons avertissant d’un changement de temps possible. « Tu crois ? » fit-il une lueur d’inquiétude dans les yeux. Puis ce « marin d’eau douce » pris une sage décision : « On va se mettre à l’abri du port d’Hendaye en attendant de voir comment ça va évoluer». Arrivé au port de plaisance « tiens ! fit H, voilà le bateau de mon ami promoteur » ; quelques instants plus tard nous voici sur le pont du bateau de l’agent immobilier en train de prendre l’apéro. Les présentations sont faites « Jean-Loup voici Max, l’homme qui rénove tout le port de plaisance d’Hendaye ». Max je te présente Jean-Loup Bézos qui monte des expositions d’art contemporain de toute beauté ! Vous ne vous connaissez pas, et bien voilà qui tombe bien, c’est fait ! fit H. qui semblait prendre un grand plaisir à nous présenter l’un à l’autre. « A oui  vous vous occupez d'artistes contemporain», fit Max le promoteur tout en m’entraînant, aussitôt les présentations terminées, sur le quai, « ça tombe bien » : « vous allez voir le travail, je vais vous faire visiter les bâtiments, ça vous donnera peut-être une idée d’exposition ? qui sait ?» On eut dit un coup monté, tellement les deux amis étaient synchrones.

La visite passée, les événements s’enchaînent avec une rapidité hors norme, un rendez-vous est pris pour discuter d’une « solution ».
Quelques jours plus tard, en fait, le plus vite possible, au cours d’une nouvelle rencontre dans un restaurant ordinaire de la côte basque : « Alors », me fait Max, « vous voulez vraiment la faire cette expo ? »
- Pourquoi pas ? L’endroit s’y prête ! ?
- Pour toute la saison ? C’est d’accord ! Vous avez ma confiance, vous avez de la chance, toutes les boutiques du port sont encore libres ! et j’accepte de vous louer l’ensemble pour votre exposition …
– Excusez moi , mais je crois qu’on s’est mal compris. Ce que je peux vous proposer c’est d’animer le site durant tout l’été. J’ai bien compris que tous les commerces sont encore disponibles mais nous sommes déjà en juin. Si vous le souhaitez je peux vous proposer un projet, cependant il n’y a plus une minute à perdre, il faut se décider vite, le temps presse. Je peux encore m’y engager dans les délais, mais il n'y a plus de yemps à perdre.
– Et bien d’accord, faite moi une proposition, fait Max laconique, j’aviserai, si le projet me plait, s’il « tient la route », ma banque devrait pouvoir suivre.
Je pensais au fond de moi-même : de toute façon c’est comme si c’était déjà signé, à quelques jours de la saison, ils n’a plus vraiment le choix.

C’est ainsi que, sur le port d’Hendaye à l’occasion de « la première biennale d’art contemporain en côte basque », seule et unique du genre, puisque,
hélas, je ne pourrais la renouveler, je rencontrerai Yvette B. en charge de la diffusion des œuvres de Penone et consort ainsi que d’autres artistes moins connus représentés par la galerie P…de Turin. J’aurai cependant quelque difficulté en fréquentant cette spécialiste patentée de l’art contemporain international, à dénouer la question du fonctionnement des galeries d’art d’envergure internationale. Quant à décrypter les compétences artistiques d’Yvette B. ? … Discrète sur les détails, allant plutôt « à l’essentiel » vis à vis d’un interlocuteur potentiellement intéressé, comme cela pouvait-être mon cas, elle se préoccupait surtout de mettre en avant l’intérêt stratégique de l’exposition de tel ou tel artiste. En revanche, « la longue dame brune » argumentait peu à propos des qualités artistiques des œuvres qu’elle était en charge de diffuser. Ces œuvres étaient après tout, toutes homologuées par cette galerie reconnue sur le marché de l’art international .Elle avait le privilège de travailler pour cette galerie : elle le savait . Tout interlocuteur était tenu de le savoir à défaut de passer pour un nigaud, un béotien. La garantie d’une bonne marque artistique, il fallait le savoir pour être un interlocuteur respecté, reposait sur l’appartenance d’une production artistique à une galerie d’art contemporain internationalement renommée. Tout le reste apparaissait donc d’évidence comme du détail sans intérêt ! Yvette B. était donc peu loquasse à propos des productions artistiques pour lesquelles elle se contentait d’employer les superlatifs habituellement utilisés dans les magazines spécialisés pour encenser les artistes de sa galerie.
« Un travail important, une œuvre incontournable », c’est ainsi qu’elle décrivait, avec une autoritaire concision, les œuvres des artistes reconnus, alors que « un artiste émergeant, une œuvre radicale, un futur grand » était le vocabulaire qui convenait mieux pour les artistes moins connus mais déjà labellisés par la galerie. C’est cette assurance «sans filet», cette morgue ingénue dispensée d’argumentation solide, le peu de curiosité sur le fond, qui m’a toujours étonné dans les pratiques professionnelles de ce milieu. Les vertus euphorisantes de la mondanité semblent priver les acteurs du « milieu de l’art » d’un réel intérêt pour l’art en dehors de la question de la renommée, une renommée qui fait loi, érigée en genre culturel, si l’on en croit l’artiste Ben Vautier quand il dit  : « ce que veulent les artistes ce n’est pas de l’argent ce qu’ils veulent c’est la gloire ! ».

En route pour la gloire ! J’avais suivi François-Marie Banier depuis la première parution «Les résidences secondaires» que j’avais lue en 1969. Je me souviens parfaitement du jeune homme de l’époque tel qu’il apparaissait dans les magazines, de son visage d’ange Rimbaldien de ses manière de dandy à la Cocteau. Le talent que le jeune homme, à peine âgé de 18 ans, déployait à construire sa réputation avait largement contribué à sa renommée.
A une époque où le peintre Salvador Dali qui se prétendait catholique, apostolique et romain vantait dans une publicité son adoration pour le chocolat Lanvin, on ne pouvait plus s’étonner de rien. Après avoir lu en 1971 un nouveau roman de François-Marie Banier, « le passé composé », j’avais perdu sa piste. On parlait moins à ce moment de cet élégant jeune homme, dans les magazines et les quotidiens c’était davantage la littérature de Patrick Modiano ou les parutions des nouveaux romans de Didier Decoin qui retenaient désormais l’attention. Dans les années 80 beaucoup de "zigotos" se sont reconvertis à l’art contemporain : « il y avait une piste ». Je retrouvais encore en 1985 François-Marie Banier comme romancier avec le roman « Balthazar, fils de famille » puis à nouveau plus rien, jusqu’à ce qu’il réapparaisse dans les vestibules de l’espace Cardin pour lequel, il me semble, il était même chargé de la programmation ? Un peu plus tard, photographe, peintre, artiste coopté par le réseau de l’art contemporain international, avec des expositions organisées pour lui un peu partout dans le monde : en 1991 au musée d’art Moderne Centre George Pompidou, dans des galeries importantes à Tokyo, Munich, Milan, Budapest, Istanbul, Moscou, au musée de Miami Beach, à la très réputé Galerie Ghislaine Hussenot de Paris en 2004, à la prestigieuse Villa Médicis de Rome, François-Marie Banier était devenu un artiste réputé.
Pour tenter de comprendre, au vu de sa production, les raisons qui l’avaient conduit comme artiste visuel à ce prestigieux parcours je recherchais sur internet des traces de ce travail apparemment très convoité. C’est alors que je restais dubitatif devant les « peintures » présentées sur son site personnel au milieu des diverses rubriques d’un parcours « tout terrain » : photographie, peinture, littérature.
Ce n’est qu’en 2009 que « l’affaire » dont il fera l’objet apportera un jour nouveau pour moi au fonctionnement des institutions d’art contemporain internationales et leur réseau marchand. Car ce que ,jusque là, j’avais subodoré mais que j'avais aussitôt écarté de mon esprit comme on chasse une mauvais pensée, l’affaire le révèlera .
Alors que je pensais cette communauté d’affairistes plus subtile, plus prudente, davantage soucieuse de conserver pour fonds de commerce des valeurs artistiques auxquelles j'avais toujours cru, je découvrais un milieu de manipulateurs « décomplexés », de vulgaires «marchands de renommées».
Je savais l'importance du relationnel dans les affaires mais j’avais imaginé que le milieu de l’art était depuis toujours constitué d’experts et que le fameux « carnet d’adresses » servait exclusivement dans ce milieu à garantir la qualité des sources d’informations entre spécialistes. Or, je découvrais, comme tout le monde, avec stupéfaction, au travers les révélations de l’affaire Banier, que des informations volontairement brouillées, manipulées à la source, pouvaient tronquer la vérité sur la nature des valeurs artistiques. J’avais été bien naïf ! Alors que certains mettront un peu vite sur le compte d’un abus de faiblesse la renommée acquise par le dandy photographe - artiste visuel qui écuma tout de même certain des plus prestigieux endroits consacrés à l’art sur la planète sans que quiconque ne s’en plaigne ? - aucun responsable, aucun directeur, aucun conservateur, marchand d’art, galeriste? aucun de ces décideurs majeurs du marché de l’art international tous garants des valeurs artistiques qu’ils véhiculent n’a, à ce que je sache, à aucun moment remis en cause la qualité de la production de l’artiste François-Marie Banier ?

Cependant que la plus grande partie des expositions de François-Marie Banier avaient été entièrement financées par l’Oréal, j’avais un début de réponse sur la question du choix des artistes et les moyens mis en œuvre pour diffuser leur production sur la planète. Je devinais aussi pourquoi les galeries d’art font parfois des choix, qui, pour une population pourtant de plus en plus cultivée, demeurent à certain moment assez incompréhensibles.

Mais qui peut bien voir, par contre, quelque chose d’immoral dans cette heureuse rencontre scellée par l’amitié entre le dandy photographe et la dame milliardaire ? Il l’a distraite avec sa bonne humeur et sa gentillesse. Elle l’enrichit et lui ouvre les portes de la renommés en tant qu’artiste. S’il y a défaillance, en tous cas ce n’est pas dans cette relation.

bottom of page