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Pourquoi collectionner des objets d’art ?

J’emploie volontairement le mot objet d’art car, je le confesse, ce sont bien des objets qui me fascinent dans les productions artistiques que j’aime. Des objets que je convoite dans les galeries ou les ateliers d’artistes, comme un enfant devant la boutique d’un marchand est tenté par des jouets. Mais aussi des jouets que parfois je pourrais fabriquer moi même quand j’en serais privé.

Certains grands collectionneurs expriment des choix stratégiques et souhaitent en constituant leur collection imposer leur goût pour l’art, démontrer que leur influence est planétaire. D’autres collectionneurs d’importance moindre, pour légitimer l’aura de leur collection nationale ou régionale les suivent dans leurs choix, s’adossent aux réputations d’artistes présents dans les grandes collections internationales.

Un des grands collectionneurs de ma région (Aquitaine) - sa collection fait partie des plus importantes collections d’art contemporain en France et figurait dans « Passion privé » au Musée d’art moderne de la ville de Paris » en 1995 - m’expliquait ses raisons de collectionner de l’art: « quand je ne serai plus là » me dit-il « que restera-t-il de mes entreprises ? Ce n’est pas la même chose avec ma collection…» A t-il cherché à m’expliquer ainsi qu’il tentait d’édifier un monument en son souvenir en place publique ?

Un autre de ces très importants collectionneurs d’un nouveau genre, apparus dans les années 80 - lui aussi d’Aquitaine, également représenté dans « Passions privées » (sa collection fut constituée à Drouot, dans une période de grande spéculation) – fut attiré par ce marché qui apparaissait avoir un avenir « juteux ». Ce grand industriel acheta la plupart des œuvres à des prix record pour cette époque puis, la crise des années 90 arrivant, il eut un petit coup de mou dans ses achats.                                                                                                              A ce moment de déprime passagère et relative je visitais sa fabuleuse collection installée dans son ancienne usine désaffectée. Il s’agissait d’un vrai musée à usage privé. C’était une collection qui, à elle seule, aurait pu faire le bonheur d’un grand musée européen.
J’étais en compagnie d’un autre collectionneur de ses amis, amateur d’art éclairé, collectionneur à l’ancienne que son comparse spéculateur amusait et qu’il observait du coin de l’œil avec une lueur d’ironie dans le regard. Nous visitions cette collection grandiose quand l’amateur d’art collectionneur interrogea son ami boursicoteur : « Et tout récemment qu’avez vous acheté ? » « Ah ! rien du tout, vous avez vu ? le marché s’écroule ! j’ai déjà bien trop mis à mal mon investissement avec tous ces achats ! » « Mais nous ! nous ne collectionnons pas pour ça Monsieur X. ? » fit Z. Goguenard.
Plus aguerri aux caprices du marché de l’art, Z., ami entre autres de César et de quelques uns des plus grands anciens marchands encore en exercice sur la place de Paris, connaissait par cœur les écueils d’une vie passée à collectionner. Il avait débuté sa collection alors qu’il était encore étudiant, une belle collection d’amateur avisé, à échelle humaine, dont il pouvait profiter dans son lieu d’habitation. Il n’y avait qu’une grande sculpture de Bernard Pagés qu’à la FIAC, sur le stand de la galerie Maeght, il avait vu plus petite et qu’en définitive,,à son grand regret, il n’avait jamais pu faire entrer chez lui.

Depuis notre visite chez lui, dans les années 90, notre ami spéculateur a pu se réjouir : le marché a renoué à la hausse avec les valeurs artistiques haut de gamme.
La crise a, en revanche, duré pour les petits et pour les œuvres de moindre prix (au tarif national ou pire régional). Le marché s’est à nouveau orienté en faveur des boursicoteurs. C’est un peu comme avec « l’affaire des subprimes », une crise en chasse une autre. Le temps que la confiance revienne après que des dégâts «collatéraux», comme on dit, aient « assaini le marché »…

En réduisant à chaque « crise » le nombre de bénéficiaires, le marché « se refait la cerise » sur le dos des "moins costauds". C'est ce que certains appellent la sélection naturelle.

Cependant collectionner de l’art ou même des objets d’art ce n’est pas toujours choisir la voie de la spéculation financière. On peut aussi privilégier au travers une collection l’affirmation d’un choix de vie plus personnel fondé sur le plaisir, basé sur le refus d’obtempérer aux choix de productions artistiques déjà cataloguées. Mais pour cela, croyez moi, il faut une sacré dose d’abnégation !

En 1983, j’organise une grande exposition à Jean Messagier. Il vient d’avoir une grande rétrospective au Grand Palais. A ce moment je dis à Jean Messagier que je souhaiterais lui acheter une grande toile dont le titre est « la douleur » et qui se trouve dans l’exposition que j’organise au Musée Despiau-Wlérick de Mont de Marsan dans cette année 83. Je sors d’une saison dans l’hôtellerie et je peux, à condition de faire ceinture pendant une bonne année par la suite, acquérir cette peinture. C’est presque décidé quand je rencontre JCD dans le même Musée et découvre sa peinture.
Finalement j’achèterai, au même prix que j’aurais pu acquérir l’œuvre de Messagier, la peinture de JCD qui s’appelle « Le fou chassé hors les murs ». Les titres des deux peintures, «La douleur» et «Le fou chassé hors les murs», à eux seuls n’étaient-ils pas prémonitoires ?
En 1990 je suis directeur artistique de la galerie Bellint à Paris.
Je me rend à une exposition de Jean Messagier à la galerie Katia Granoff.
Les prix de Messagier sont devenu inaccessibles pour moi.
J’ai fait un choix que je ne regrette pas, sinon que stratégiquement, pour un marchand d’art, c’est une sacré bourde professionnelle.

Que se serait-il passé si j’avais acheté Messagier au lieu de JCD ?
L’œuvre de Messagier « la douleur » figure en double page couleur en plein milieu de la monographie de l’artiste (éditions Marval - p 105 et 106). Elle est considérée comme une œuvre majeure de Jean Messagier.
J’aurais pu évidemment, si je l’avais achetée en 83, revendre cette œuvre à l’époque de mon séjour parisien. Avec j’aurais pu acheter le tableau de JCD «le fou chassé hors les murs» sans souci et acquérir facilement une peinture de Messagier d’un format plus modeste que celui de « la douleur » (125X 190 cm).
Mauvais calcul donc ? Non, simplement jamais la moindre arrière pensée financière n’a motivé mes choix de l’époque, pire c’était même plutôt l’aventure déliée de l’intérêt pécuniaire qui motivait mes projets d’achats d’œuvre d’art à ce moment. Il m’en à coûté évidemment de l’inconfort, de l’inquiétude… Et pour tout dire je n’ai pas repéré la moindre gratitude à mon égard des artistes dont je préférais les œuvres à ce moment à celles de leur glorieux collègues que je fréquentais conjointement. Très peu d’encouragement de quiconque pour mes prises de positions risqués en faveur des productions non cataloguées. Mon choix de collectionner était pourtant pour moi «politique».Et même si, pour cause, je n'ai pas toujours financièrement assuré, même si j'ai été pris au piège du "défaut" de paiement vis à vis des productions de quelques un : En manifestant ainsi mon engagement pour des productions artistiques non cataloguées, j’avais fait de mon insouciance raisonnée (suicidaire ?) un genre de morale artistique. Il m'en a coûté une mauvaise réputation auprès d'amis artistes pour m'être adonné par obligation, pour poursuivre ce rêve à ce qu'en matière de commerce on appelle la cavalerie financière. C'est à dire qu'à défaut de trésorerie on fait le pari qu'on gagnera à l'occasion de la vente suivante de quoi payer son du à l'artiste vendu précédemment. J'opérais ainsi alors que je le savais, je n’avais guère le droit à l’erreur. Pourtant j’ai toujours vécu "de bout de chandelles", je jouais avec mon porte-monnaie au « capitaine trompe la mort ». Cependant que, petit à petit, j’apprenais à cerner un mode de vie bohème, artistiquement parlant idéal pour moi : libre de choix, libre de désirs, libre d’envies. Cette existence d’amateur d’art prenait forme qui probablement m’était inspirée par des réminiscences de l’enfance. Les bons points que ma grand mère paternelle m’avait offert et que ses parents lui avaient transmis , avaient sûrement fait de moi un intercesseur, un passeur, cet amateur d’objets d’art que j'étais devenu.

 

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